Le mal-être des vétérinaires

Le 30 juillet dernier, le docteur vétérinaire Geraldine Blanchard lançait sur sa page Facebook un message intitulé "réfléchissez avant de poster". Ce message ayant pour but de dénoncer la situation émotionnelle des vétérinaires suite aux résultats d’une enquête révélant des niveaux très élevés de mal-être dans cette profession.

Si je décide de vous en parler, c’est parce que ce sujet nous touche tous en tant que propriétaire d'animaux. Même si vous ne vous sentez pas directement concernés, quelqu’un autour de vous l’est surement.

Que dit cette étude ?

Le professeur Didier Truchot (psychologie sociale, université de Bourgogne-Franche-Comté) a présenté les résultats de la première étude française sur la santé psychologique des vétérinaires, initiée par l'Ordre national des vétérinaires et Vétos-Entraide, le 19 mai 2022, à Paris.

Le but de cette étude est d'apporter des solutions ciblées aux fréquents problèmes psychologiques qui frappent la profession. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les chiffres qui ressortent de cette étude sont alarmants :

  • 4,7% des vétérinaires ont déjà tenté de se suicider
  • l'indice d'épuisement émotionnel est 1,2 fois supérieur à celui des agriculteurs et 1,5 fois supérieur à celui de l'échantillon de référence
  • les vétérinaires sont 3 à 4 fois plus à risque de suicide que la population générale
  • ils sont 2 fois plus à risque de suicide que les professions de santé humaine
  • 20% des vétérinaires auraient eu des idéations suicidaires au cours des 12 derniers mois
  • 4,8% des vétérinaires interrogés ont déclaré avoir eu assez souvent, fréquemment ou tout le temps envie de se suicider dans les semaines ayant précédé l'enquête
  • 37% des vétérinaires ont une addiction au travail ou "workaholisme"

Le burn out touche surtout les vétérinaires les plus jeunes, burn out qui peut s'accompagner du développement d'attitudes cyniques et d'une efficacité professionnelle réduite. Pour les vétérinaires salariés, l'étude souligne l'impact du niveau de rémunération et le sentiment de dévalorisation.

L'étude montre que les vétérinaires qui ont effectué une tentative de suicide font plus de gardes ou d'astreintes de week-end par mois. Ils font aussi plus de gardes ou d'astreintes de nuit et ont pris moins de jours de congés au cours des douze derniers mois. Ils ont été davantage en arrêt pour maladie au cours des deux dernières années et pensent travailler davantage alors que leur état de santé aurait nécessité du repos.

Les réseaux sociaux n'aident vraiment pas

Ces dernières années, Internet a connu un essor communautaire et participatif via les réseaux sociaux de type Facebook, Instagram, Dailymotion ou encore Twitter. Grâce à ces nouveaux moyens de communication sont arrivés de nouveaux canaux de diffusion relativement libres de tout contrôle éditorial, comme par exemple les blogs.

La création de plateformes permettant les échanges rapides d’informations, d’impressions, de jugements hâtifs, de sentiments, de sensations, etc... permettent maintenant aux internautes de partager des informations entre eux souvent pour le meilleur et parfois pour le pire.

Car quel est le but de venir sur Facebook pour dénoncer des problèmes avec son vétérinaire ? Ou pour dire que certains vétérinaires ont fait des erreurs ? Si vous avez un problème avec un vétérinaire, Il est nettement plus simple de voir directement avec lui. Et dans le pire des cas, vous pouvez faire intervenir l’ordre des vétérinaires. Régler ses comptes en public n'a jamais fait avancer un conflit.

Ce type de comportement est devenu très problématique ces dernières années. Et cela a un impact réel dans les statistiques de suicide et le sentiment de mal-être des vétérinaires. Eux aussi sont sur les réseaux sociaux... et voient vos commentaires.

Des propriétaires parfois limites

Les vétérinaires doivent soigner les animaux mais aussi gérer... leurs propriétaires.

Que penser d'un propriétaire qui a pris un n-ième animal et qui pleure sur le prix d'un vaccin jugé "trop couteux" ? Et d'un propriétaire qui veut faire passer toute une série d'examens mais sans que cela ne lui coûte trop cher ? Ou qui n'a tout simplement pas assez d'argent pour payer les soins ?

Autre catégorie de personnes, celles qui ramènent toutes les semaines des animaux trouvés dans la rue en demandant qu'un vétérinaire prenne en charge les soins gracieusement. Après tout...

J'ai fait l'effort de ramasser une pauvre âme dans la rue alors un vétérinaire peut aussi faire une bonne action. Comme il est vétérinaire, il aime les animaux et se doit de les soigner qu'importe si cela lui coûte plusieurs centaines d'euros !

Le vétérinaire est confronté quotidiennement à ce type de sollicitation. A sa place, que feriez-vous ?

Le coût des soins

Les médicaments et les soins vétérinaires sont chers ? Oui... mais ce n'est pas vraiment la faute de votre vétérinaire.

Le fait que les français ne connaissent plus le vrai coût de la santé pose souci quand un vétérinaire présente une facture. Et pourtant, celle-ci est rarement mirobolante, surtout comparée à son équivalent en médecine humaine.

Il existe des règles interdisant à un vétérinaire de prescrire une spécialité humaine si le médicament vétérinaire existe. Or, un médicament vétérinaire est bien souvent plus cher que le même médicament en humain. Les prix d'achat pratiqués par les laboratoires aux vétérinaires Vs les pharmacies (qui peuvent commander en gros) jouent clairement en défaveur des vétérinaires.

La TVA applicable n'est pas la même non plus, que ce soit pour les médicaments ou pour les soins. Par exemple, les médicaments humains bénéficient du taux particulier de 2,10 % de TVA contre 20% pour la médecine vétérinaire.

Pour être viable, une structure doit avoir un certain chiffre d'affaires. Une baisse des marges sur les médicaments vétérinaires serait forcément répercutée sur le prix des actes. D'autant que le marché vétérinaire étant plus petit, les possibilités de tirer les marges sont limitées.

Le fantasme du salaire

Les attaques sur le salaire sont récurrentes et participent au mal-être des vétérinaires.

Oui, certains vétérinaires gagnent très bien leur vie et c'est tant mieux pour eux. D'autres, pourtant installés avec une clinique qui tourne très bien et avec des heures par-dessus la tête, gagnent en réalité moins qu'un SMIC horaire.

Entre la surcharge de travail et les heures supplémentaires parfois non payées, il y a de quoi être démotivé. Pourquoi ne pas embaucher s'il y-a autant de travail que ça ? Tout simplement car il y a une pénurie de vétérinaires !

En France, il n’y a pas assez de vétérinaires formés par les 4 écoles nationales. Ces dernières années, plus de la moitié des nouveaux inscrits à l’ordre des vétérinaires venaient d’écoles étrangères. Et à côté de ça, beaucoup se réorientent. Ils souvent dégoûtés par la réalité du métier, les demandes aberrantes des propriétaires, la pression constante, le salaire pas à la hauteur ou les bashings incessants sur Internet.

Un jeune vétérinaire gagne moins de 2000 euros net par mois après 7 années d'études en médecine. C'est nettement en dessous de la moyenne si on prend en considération l'investissement et les responsabilités. A titre de comparaison, la grille de salaires d'un vétérinaire n'est pas plus élevée que celle d'un ingénieur en informatique. Vous conviendrez avec moi que les enjeux entre la vie d'un animal et celle d'un ordinateur sont radicalement différents !

Changeons les choses

Si vous ne vous sentez pas en confiance avec votre vétérinaire, n'hésitez pas à prendre rendez-vous dans une autre clinique. Il est même parfois préférable d'avoir un second avis médical. Vous êtes totalement libre de changer de vétérinaire, mais ne l'insultez pas pour autant sur Internet !

N'exigez pas plus de votre vétérinaire que vous accepteriez qu'on exige de vous. Ce principe me semble essentiel pour le respect de chacun. Prenez soin de votre vétérinaire comme il prend soin de vos animaux.

Et surtout n'oubliez pas que lorsque votre animal vivra ses derniers instants, il y aura surement un vétérinaire qui répondra présent pour vous accompagner dans ce moment douloureux.