Les croquettes aux insectes

Face à l’urgence climatique et à la nécessité de repenser nos modes de consommation, l’alimentation de nos animaux de compagnie n’échappe pas au débat. Alors que chiens et chats occupent une place centrale dans de nombreux foyers, leur nourriture représente une part non négligeable de l’impact environnemental global, un impact qui varie fortement selon le mode d’alimentation (croquettes, pâtées, ration ménagère).

C’est dans ce contexte que les croquettes aux insectes émergent comme une alternative présentée comme plus durable et respectueuse de l’environnement. Certains acteurs de l’alimentation pour chiens et chats se sont lancés dans la conception et la commercialisation de croquettes et de pâtées à base d’insectes. Mais cette solution est-elle réellement écologique ?

D’après certains nutritionnistes et influenceurs, les croquettes aux insectes seraient en réalité moins écologiques que les croquettes classiques. J’ai donc voulu vérifier cette affirmation en m’appuyant sur des données chiffrées et des sources officielles. J'ai également demandé l'avis de trois marques françaises proposant des produits aux insectes : Ekinoé, Fungfeed et Invers.

La consommation de viande

En 20 ans, la consommation moyenne de viande par habitant en France a reculé de 5,8%. L’érosion du total des volumes de viande consommés s’est poursuivie en 2023 et 2024 avec une baisse de -1,5%. Si les achats de viande de volaille, qu’elle soit fraîche ou surgelée, restent pour le moment constants, il n’en va pas de même pour les viandes de boucherie (bovine, porcine et ovine).

Les croquettes et pâtées pour animaux domestiques sont constituées de sous-produits animaux de catégorie 3. Ces sous-produits font partie de ce que l’on appelle le « cinquième quartier » : l’ensemble des parties de l’animal abattu qui ne sont pas considérées comme de la viande destinée à la consommation humaine. Or, si la consommation de viande continue de diminuer, le nombre d’animaux élevés et abattus diminuera également, ce qui réduira mécaniquement la disponibilité des sous-produits de catégorie 3 utilisés dans l’alimentation pour animaux.

les croquettes aux insectes apparaissent alors comme une alternative intéressante pour garantir une source durable de protéines. Élevés sur des substrats organiques, les insectes nécessitent peu d’espace, d’eau et d’énergie comparé aux animaux d’élevage traditionnels (Li et al., 2023). Sur le plan nutritionnel, certaines espèces, comme la mouche soldat noire ou le ténébrion meunier, offrent un profil protéique riche et digestible, adapté aux besoins des chiens et chats.

Un bilan carbone controversé

L'étude internationale de Bosch et Swanson (2020) donne les chiffres suivants : les protéines animales traditionnellement utilisées dans la petfood génèrent entre 1 et 2 CO₂e/kg tandis que les protéines d’insectes génèrent entre 3 et 19 CO₂e/kg selon l’espèce et l’alimentation des insectes. L'étude précise également que l’empreinte carbone dépend du mix énergétique du pays d’élevage (nucléaire, gaz, charbon...).

Une part importante de l’empreinte carbone liée à l’élevage d’insectes provient de leur alimentation. Actuellement, le règlement CE n° 1069/2009 autorise uniquement les matières végétales et certains sous-produits végétaux ou animaux :

  • déchets végétaux issus de l’agroalimentaire
  • sous-produits végétaux non destinés à la consommation humain
  • sous-produits animaux de catégorie 3

Les déchets de cuisine ou de restauration, le lisier ou le fumier ne sont pas autorisés pour nourrir les insectes. Cela s’applique également aux insectes élevés dans d’autres pays et importés en Europe.

Ce point est important dans le débat sur leur intérêt écologique. Si les larves ne sont pas nourries avec des déchets ultimes, mais avec des coproduits agricoles ou agroalimentaires qui auraient pu être valorisés autrement (biogaz, compost, alimentation animale classique), l’impact écologique positif est moindre que si elles valorisaient de véritables déchets non recyclables.

Enfin, le lisier produit par les insectes (appelé frass) ne peut pas être épandu directement dans les sols en raison du mélange entre substrat, lisier et parties d’insectes. Ce frass doit être stérilisé avant son utilisation en agriculture, ce qui entraîne une consommation d’énergie et donc des émissions de CO₂e.

Les protéines animales transformées

Les sous-produits animaux, utilisés dans la fabrication des croquettes, sont incorporés sous la forme de protéines animales transformées. Actuellement, le bilan carbone d'une tonne de PAT en France n'est pas directement documenté dans les bases publiques standards. On peut uniquement se référer aux chiffres de la production animale.

Selon l'ADEME, Base Carbone (2022) :

  • Bœuf | 27 kg CO₂e/kg
  • Porc | 5,7 kg CO₂e/kg
  • Volaille | 4,2 kg CO₂e/kg

L'Évaluation environnementale de la filière viande de l'ADEME (2019) indique que 8 à 15 % de l'impact environnemental est attribué aux co-produits animaux. La transformation (chauffage, broyage, séchage) ajoute un impact énergétique relativement faible de l'ordre de 100 à 300 kg CO₂e par tonne de matière. SARIA Industries, leader français du PAT, indique dans son rapport RSE (2020) que leur process génère moins de 0,2 tonne de CO₂e supplémentaire par tonne traitée.

Sur la base de ces différents chiffres, on peut estimer l'impact des PAT comme suit :

  • Bœuf | 2,9 à 4,2 CO₂e/kg
  • Porc | 0,65 à 1,05 kg CO₂e/kg
  • Volaille | 0,53 à 0,83 kg CO₂e/kg

Ces valeurs semblent cohérentes avec l'étude de Bosch et Swanson, mais également avec un chiffre avancé par la FACCO. Les co-produits de poulet en France auraient un impact carbone de 0,73 CO₂e/kg.

Les données des acteurs du marché

D'après la société Invers, la principale source d’émission de CO₂ provient du son de blé, utilisé comme alimentation pour les insectes (74%). Cependant, cet impact reste limité grâce à un approvisionnement local et à la faible empreinte carbone de cet intrant. Viennent ensuite les émissions dues au transport (11%), à l'énergie (10%) et au matériel (4%). L’empreinte carbone d’1 kg de vers déshydraté sorti des ateliers d’Invers est évaluée à 0,82 CO₂e/kg. Un excellent chiffre comparable à l'impact carbone des co-produits de poulet.

Chez Ekinoé, les insectes sont nourris avec un substrat végétal issu de coproduits de l’industrie amidonnière. Il s’agit donc de matière organique non consommable en l’état par l’homme, habituellement considérée comme un déchet de l’industrie agroalimentaire. Du côté de Fungfeed, l’alimentation des larves repose sur des restes de champignons invendables, du son de blé et de la drêche de brasserie. Ainsi, aucun aliment spécifiquement cultivé n’est utilisé pour l’élevage des insectes.

D’autres innovations technologiques sont également mises en œuvre. Chez Ekinoé comme chez Fungfeed, les élevages d'insectes sont accolés à une autre usine agroalimentaire. Les coproduits végétaux sont directement acheminés, ce qui permet de réaliser des économies d'énergie substantielles sur le transport. Un système de récupération d'énergie "fatale" (perdue dans l'atmosphère sous forme de chaleur) est également utilisé par Ekinoé, permettant ainsi d’économiser 60 % de l'énergie nécessaire à l'élevage.

Nous pouvons également ajouter que les insectes sont extrêmement peu consommateurs de ressources en eau. Dans un contexte de sécheresse chronique et de tensions croissantes autour de la gestion de l’eau en Europe, cette caractéristique constitue un atout environnemental majeur.

Enfin, Ekinoé précise que les émissions en CO₂e liées à la stérilisation du frass sont réduites de 45 % par rapport au traitement du fumier de volaille (par tonne utilisée).

Une approche globale

Lorsqu'on évalue l'impact écologique d’un produit, il est nécessaire d'adopter une approche globale. Se limiter aux seules émissions de CO₂ serait réducteur, bien que celles-ci soient souvent mises en avant dans les discours marketing. En réalité, l'empreinte environnementale d'un produit résulte d’une multitude de facteurs interconnectés tout au long de son cycle de vie.

D’abord, l’énergie consommée pour produire les matières premières, les transformer, les conditionner et les distribuer joue un rôle clé. Une source d’énergie fossile, par exemple, a un impact bien plus lourd qu’une énergie renouvelable ou nucléaire. La consommation d’eau est également cruciale : l’élevage intensif, comme certaines formes d’agriculture, peut être extrêmement gourmand en eau douce.

À cela s’ajoutent le transport, qui influence directement l’empreinte carbone selon la distance parcourue et le mode de transport utilisé (camion, avion, bateau), ainsi que le packaging, dont la fabrication et la fin de vie (recyclable ou non, plastique ou carton, biodégradable ou non) participent également à l'impact global.

Aujourd’hui, il serait trop simpliste d’affirmer que toutes les croquettes aux insectes ne sont pas écologiques. Certaines formulations peuvent, au contraire, présenter un excellent bilan carbone. Mais pour juger de leur véritable impact environnemental, il est essentiel d’aller au-delà du discours marketing et d’exiger transparence, traçabilité et analyses de cycle de vie complètes.

Surtout, il ne suffit pas d’examiner la seule source de protéines animales pour qualifier un produit de plus ou moins écologique. L’ensemble des ingrédients doit être pris en compte. Autant de facteurs qui, combinés, déterminent réellement l’empreinte environnementale de ce que nous mettons dans la gamelle de nos animaux.