Phosphore et maladie rénale chronique chez le chat (MRC)

Le phosphore peut-il entraîner une maladie rénale chronique (MRC) chez le chat ? On estime bien souvent (et à tord) que seule une alimentation trop sèche peut endommager les reins.

Les études mesurant l’effet d’une alimentation riche en phosphore sur la santé rénale du chat sain sont relativement récentes. Faisons le point ensemble sur les dernières données scientifiques à ce sujet.

Le phosphore sous toutes ses formes

En nutrition, le phosphore (P) existe sous 2 formes : organique et inorganique.

Le phosphore organique fait référence aux composés chimiques contenant du phosphore qui sont liés à des atomes de carbone et d'hydrogène, formant ainsi des structures organiques. Il est abondamment présent dans tous les organismes vivants, des micro-organismes aux plantes et aux animaux. Il est donc naturellement présent dans la viande, les os, le poisson ou les laitages.

Le phosphore organique est essentiel à la structure et à la fonction des acides nucléiques (ADN et ARN) qui contiennent des groupes phosphate, ainsi qu'aux phospholipides des membranes cellulaires. Le P organique est également présent dans le sol et les sédiments, principalement sous forme de matière organique décomposée.

Le phosphore inorganique fait référence aux composés chimiques contenant du phosphore qui ne sont pas liés à des atomes de carbone et d'hydrogène, contrairement au P organique. Ces composés se trouvent dans l'environnement naturel, tels que les sols, les roches, les minéraux, ainsi que dans diverses formes chimiques présentes dans les organismes vivants.

Le phosphore inorganique est notamment utilisé dans les compléments minéraux et vitaminés (CMV), mais aussi comme additif dans les aliments industriels. C’est un élément nutritionnel texturant et appétant, qui présente également un effet antibactérien. Il convient de noter que le P organique est présent en quantités beaucoup plus faibles que le P inorganique dans l'environnement.

Un sujet difficile à étudier

Mesurer expérimentalement l’effet du phosphore sur la santé rénale du chat reste difficile. En effet, de nombreux facteurs influent sur son absorption intestinale : sa quantité, sa forme chimique, la présence de fibres et le ratio Ca/P. Une étude de mai 2023 démontre toutes les difficultés rencontrées quant à l'analyse du phosphore provenant de l'alimentation.

Toutefois, il existe des preuves que l'excès de phosphore nutritionnel peut être un facteur de risque de maladie rénale chronique (MRC) chez les animaux de compagnie. C'est le cas avec les études de Böswald (2018) et de Dobenecker (2018) qui démontrent un lien entre l'excès de phosphore et la fonction rénale.

Ces deux études montrent qu'un régime ayant une forte teneur en phosphore peut avoir des effets néfastes sur les reins de chats en bonne santé. Le niveau sans effet indésirable observé est inférieur à 3,6 g/Mcal pour le P alimentaire total chez les chats adultes. Mais l'une de ces études précise que l'effet des sources de phosphore inorganique doit faire l'objet d'un examen plus approfondi.

Focus sur le phosphore inorganique

De récentes études ont montré que toutes les formes de phosphore alimentaire ne sont pas égales. Le P inorganique est globalement plus digestible que le P organique (80-100% contre 40-60%). Et toutes les formes chimiques de P inorganique n’ont pas une digestibilité identique comme le montre une autre étude datant de 2018.

Une étude de 2021 tente de trouver les niveaux sans effet nocif observé pour différentes sources de phosphore alimentaire dans l'alimentation des félins adultes. Les présentes données suggèrent qu'il n'y a pas d'effet indésirable observé pour les régimes alimentaires pour félins contenant au maximum 1 g/Mcal de P inorganique pour une quantité totale de P allant jusqu’à 5 g/Mcal et avec un rapport Ca/P > 1.

Par contre, il a été montré que des chats nourris avec un aliment riche en P inorganique (1,5 à 3,6 g/Mcal) associé à un rapport Ca/P < 1 pouvaient présenter une dysfonction rénale dès 4 semaines d’alimentation. Les hypothèses avancées évoquent une minéralisation des tissus mous, à l’origine de dommages sur les tubules rénaux et de précipitation de néphrolithes (Jonathan Elliott, Rebecca F Geddes, 2022).

Auparavant, une étude de 2013 avait montré qu’un aliment apportant 1 g/Mcal de P inorganique (P total 2,2 g/Mcal) avec un rapport Ca/P de 0,85 n’entraînait aucune modification de la fonction rénale chez des chats âgés (> 10 ans) au bout de 2 ans d'expérimentation.

Ce que dit la réglementation

Il n’existe pas à ce jour de limite maximale recommandée pour le phosphore chez le chat. En effet, on ne trouve aucune indication dans le guide nutritionnel de la FEDIAF ou dans le NRC. Depuis 2019, la FEDIAF a tout de même ajouté une note stipulant que le P inorganique pourrait être responsable d’une altération de la fonction rénale.

En alimentation industrielle, le phosphore ne fait pas partie des mentions obligatoires figurant sur l’emballage (voir règlement n°2017/2279 du 11 décembre 2017). Si certaines marques affichent les teneurs en calcium et phosphore de leurs aliments, aucune ne communique sur la répartition entre P organique et inorganique.

Même si ces deux minéraux sont indiqués, il faut savoir qu'il existe une tolérance légale. Le règlement UE 2017/2279 autorise des écarts allant jusqu'à +-30% pour les taux de calcium et de phosphore. On peut vite se retrouver avec des rapports Ca/P < 1 sur des productions non suffisamment testées et/ou avec des marques peu exigeantes.

Les précautions à prendre

L'ensemble des études citées dans cet article renforce les recommandations que j'ai pu émettre dans un autre de mes écrits intitulé : "Le phosphore, votre véritable ennemi". J'avais alors conseillé le choix de croquettes ne dépassant pas 1,1% maximum de phosphore pour un chat adulte. Et ayant moins de 0,8% de phosphore pour un chat senior.

Il faut donc veiller à choisir un aliment avec un rapport Ca/P > 1 mais pas seulement. On doit surtout être vigilant sur la quantité de phosphore ingéré. Un apport modéré à bas en P inorganique (< 1 g/MCal) semble important pour préserver la fonction rénale des chats sains. Et sur ces deux points, les marques vétérinaires font le job !

À l'inverse, méfiez-vous de toutes ces petites marques qui poussent comme des champignons et qui ne possèdent pas forcément de compétence en nutrition ni une grande maîtrise de leur production.

Si votre chat est atteint d'une MRC, suivez les conseils de votre vétérinaire ou d'un vétérinaire nutritionniste. Bien souvent, avec un chat atteint d'insuffisance rénale, une alimentation de qualité (qu'elle soit industrielle ou "maison") ne suffit pas. Les aliments vétérinaires "rénaux" sont bien souvent la seule solution réaliste.