
Le marché de la petfood connaît une croissance fulgurante depuis plusieurs années, porté par une prise de conscience accrue des maîtres quant à la santé et au bien-être de leurs compagnons. Cette dynamique a vu émerger de nombreuses marques surfant sur des promesses de qualité, de transparence et de naturalité.
Mais derrière les slogans alléchants et les visuels soignés, certaines pratiques marketing soulèvent des questions éthiques, voire juridiques. Je vais essayer de mettre en lumière les dérives marketing observées dans un secteur où la confiance du consommateur est cruciale. Cette confiance est bien trop souvent exploitée à des fins purement commerciales.
Les bases du marketing
Avant de parler des abus et des dérives, parlons tout d'abord du marketing en lui même. Le marketing comprend l’ensemble des actions et stratégies qu’une entreprise met en place pour comprendre les besoins des consommateurs, créer une offre (produit ou service) qui répond à ces besoins, la promouvoir pour attirer l’attention, la vendre, et enfin fidéliser les clients.
Le marketing, en tant que discipline structurée apparaît, au début du XXe siècle, surtout aux États-Unis. Mais en réalité, on peut considérer que cette pratique existe depuis l’Antiquité. Les commerçants cherchaient déjà à séduire leurs clients (bons emplacements, qualité du produit, bouche-à-oreille). Ce n’était pas encore du “marketing” au sens moderne, mais l’idée était là : attirer, vendre, fidéliser.
Vous l’aurez compris, le but premier d’une entreprise est avant tout de répondre à la demande des clients. Prenons l’exemple des croquettes sans céréales : les propriétaires d’animaux ont massivement exprimé leur intérêt pour ce type de produit, perçu (à tort) comme meilleur pour la santé de leurs compagnons. Face à cette demande, les marques existantes ont commencé à proposer des croquettes sans blé ni maïs. Le marché s’étant développé rapidement, des dizaines et des dizaines de nouvelles marques ont vu le jour sur ce segment.
La naissance d'une marque
Depuis 2017, on a vu fleurir tout un tas de nouvelles marques ayant pour but de "révolutionner la petfood". L'histoire (storytelling) débute toujours de la même façon avec deux jeunes amoureux des animaux sortis d’école de commerce. L’un des deux a un chien (ou un chat) malade et aucun aliment vendu le marché ne lui convient. Ils décident alors de créer un produit totalement révolutionnaire pour guérir leur animal et en faire profiter le plus grand nombre.
Après les éleveurs, les éducateurs, les animaleries indépendantes, voilà que même les influenceurs tiktok se mettent à commercialiser leur propre marque ! Mais comment font-ils pour la production ?
Inutile d'investir dans une usine de plusieurs millions d'euros. Il suffit de demander à une usine existante de créer des produits pour vous. Ces usines peuvent fabriquer vos propres recettes, en payant le délégation de formulation à l'usine en plus de la fabrication, ou vous proposer des références blanches. Il s’agit de recettes standards, conditionnées dans des emballages neutres, sur lesquels la marque peut apposer son étiquette.
L'usine GA Partner est une spécialiste de la référence blanche. Cette usine est à la base de très nombreuses marques (Franklin, Jaquo, Truffes Dorées, Mirabeau tradition). Certaines marques commercialisent exactement le même produit sous des noms différents, avec des prix pouvant varier du simple au double. GA Partner propose également un marketing standardisé que vous allez reconnaitre facilement : viande fraiche, freshtrusion, extrudeur Wenger TT3630, cuisson basse température, etc...
Dans ce type de partenariat, l'usine reste une boite noire pour la marque. Quel est le sourcing des ingrédients ? Quelles sont les analyses faites sur le produit fini ? Le plupart du temps, les marques ne font rien de plus que de la vente. Certaines, plus sérieuses, effectuent des analyses indépendantes mais cela reste une exception et non la règle.
Plus c'est gros, plus ça passe
Avec la concurrence qui se joue entre les DNVB (marques Internet), on assiste à un véritable concours de mots clés : croquettes holistic barf, alimentation naturelle, croquettes mijotées vapeur, ration ménagère sous forme sèche, croquettes barf cru ou encore artisanales.
D'autres arguments sont très souvent cités : recommandé par les vétérinaires, hypoallergénique, cuit à basse température, contient un superfood. J'aime tout particulièrement la mention hypoallergénique que l'on voit un peu partout dès que le produit ne contient pas de céréales. Le cuit à basse température me fait également sourire car la majorité des croquettes sont traitées à 90° avec un maximum situé à 130°.
L'utilisation du "sans" est également très en vogue : sans céréales, sans additifs artificiels, sans hormones de croissance, sans sous-produits, sans gluten, sans antiobiotiques... la liste est longue. Or, la mention "sans" ne peut être utilisée que si elle permet réellement de différencier un produit. Elle est interdite lorsque la substance en question est déjà absente de la majorité des produits similaires sur le marché (R. 767/2009 Art 11.1 b). Et puis, une croquette sans sous-produits ou sans additifs ça n'existe tout simplement pas.
Les allégations santé comme "évite les troubles digestifs, vomissements, diarrhées ou maladies chroniques" relèvent du registre médical. De telles allégations ne sont pas autorisées pour des aliments standards, car elles suggèrent des effets thérapeutiques réservés aux produits vétérinaires. Ces allégations sont donc totalement mensongères et constituent une infraction grave à la réglementation.
Les illustrations d’ingrédients de consommation tels que des pièces de viande, des volailles entières ou des poissons crus accompagnés par divers fruits et légumes sont trompeurs. Les photos et illustrations sur l’emballage doivent illustrer fidèlement la composition du produit, comme le souligne l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP). Ne rêvez pas, les marques n'utilisent pas ces beaux ingrédients pour la petfood !
Les croquettes "sur mesure"
Ces dernières années, des marques comme Caats, Japhy ou encore Tails ont popularisé une nouvelle tendance dans l’univers de la petfood : les croquettes personnalisées ou sur mesure, censées être adaptées à chaque chien ou chat selon son profil. Le principe : vous remplissez un petit questionnaire en ligne sur votre animal (âge, race, poids, activité, allergies éventuelle) et la marque vous propose une recette "faite pour lui".
L’argument est fort : chaque animal étant unique, il devrait avoir une alimentation taillée pour ses besoins spécifiques. Un marketing bien ficelé, qui joue sur la corde sensible des maîtres soucieux de la santé de leur compagnon. Les marques mettent en avant des formules recommandées par des vétérinaires, une composition saine et naturelle, ou encore un suivi nutritionnel personnalisé.
En pratique, cette personnalisation repose souvent sur une base de recettes standards, légèrement ajustées selon quelques paramètres simples (taille des croquettes, ajustement des quantités). On est loin de la formulation sur-mesure et la personnalisation est plus marketing que nutritionnelle. Ces différentes marques ne possèdent pas d'usine et ne font que passer commande auprès d'usines partenaires.
Le packaging laisse croire à une fabrication artisanale qui, en réalité, reste industrielle. Au final, la seule chose réellement personnalisée, c'est le nom de votre animal sur le paquet.
Le Jury de Déontologie Publicitaire
Le Jury de Déontologie Publicitaire (JDP) est une instance française indépendante créée en 2008. Il traite les plaintes du public concernant des publicités diffusées en France, en évaluant leur conformité aux règles déontologiques établies par l'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP). Le JDP permet à tout citoyen de signaler une publicité jugée trompeuse, choquante ou contraire aux règles déontologiques. Cette structure offre ainsi un espace de recours accessible, rapide et transparent.
Le JDP ne sanctionne pas au sens juridique, mais rend des avis motivés qui sont publiés en ligne, contribuant à responsabiliser les annonceurs. Ces décisions ont souvent un impact immédiat : lorsqu’un manquement est constaté, de nombreuses marques choisissent de modifier ou retirer leur publicité. Le rôle du JDP est donc double : protéger les consommateurs contre les abus ou les dérives publicitaires, et encourager les professionnels à adopter des pratiques responsables et respectueuses des règles en vigueur.
En s’appuyant sur les plaintes du public, le JDP agit comme un contre-pouvoir citoyen dans le paysage médiatique. Son action favorise une publicité plus transparente, respectueuse des personnes, et des règles de la communication loyale.
Des marques épinglées
Certaines marques de croquettes pour chiens et chats ont été épinglées pour des pratiques jugées trompeuses, comme l’usage abusif de termes tels que "naturel", de visuels abusifs, ou encore des promesses exagérées sur les bienfaits santé de leurs produits. Le JDP reçoit régulièrement des plaintes de consommateurs ou d’associations dénonçant ces excès. Les avis rendus par le Jury permettent d’éclairer le public et de mettre en lumière certaines dérives du marketing animalier.
Voici quelques exemples d'avis rendus :
Croq la vie (lien de l'avis)
Franklin (lien de l'avis)
Japhy (lien de l'avis)
Natural Breed (lien de l'avis)
Pepette (lien de l'avis)
Petty Well (lien de l'avis)
Reglo (lien de l'avis)
Stan (lien de l'avis)
Tomojo (lien de l'avis)
Truffes Dorées (lien de l'avis)
On retrouve ainsi les arguments de vente habituels : sans hormones, sans antibiotiques, avec ingrédients propres à la consommation humaine, etc... En réalité, ces points sont obligatoires pour tous les produits de petfood : ils ne reflètent donc pas un gage de qualité, mais simplement le respect de la règlementation.
Il y a également les mentions mensongères comme : à la viande, sans additifs artificiels, sans sous-produit, 100% naturel, recommandé par les vétérinaires, etc...
Et pour finir, les allégations médicales avancées sans la moindre preuve à l’appui : hypoallergénique, maintient le bon fonctionnement urinaire, prévient le diabète, augmente l’espérance de vie en bonne santé, évite les troubles digestifs… autant de promesses non vérifiées, mais pourtant largement utilisées.
Un consommateur averti en vaut deux
Dans l’univers très concurrentiel de l’alimentation pour animaux, les marques redoublent de créativité pour séduire les maîtres. Et souvent… elles en font trop. Allégations santé sans preuve, promesses de personnalisation illusoires, recettes génériques déguisées en formules “premium”, prix de vente gonflé pour donner une impression de produit haut de gamme : le marketing va souvent plus vite que l’éthique.
Heureusement, un consommateur bien informé peut faire la différence. Lire les étiquettes, recouper les informations, se méfier des effets d’annonce : autant de réflexes simples qui permettent de ne pas tomber dans le piège des promesses trop belles pour être vraies.
Les très grandes marques n'utilisent pas les leviers du marketing abusif et mensonger. Pour ces grands groupes, la moindre erreur de communication peut avoir des répercussions désastreuses.
Et au milieu de tout cela, certaines marques indépendantes et engagées tentent de se faire une place. Car oui, il est tout à fait possible de proposer des produits de qualité, et de les commercialiser honnêtement, sans céder aux excès du marketing trompeur. Mais même les marques sérieuses doivent se "plier" aux demandes des consommateurs. Une part de marketing est donc obligatoire...